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mercredi 12 mai 2010

La Dame d'or (2)

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Aurélien Despars, secrètement amoureux d’Héliodore, s’était promis de lui offrir un jour le voyage qu’elle souhaitait. Mais, étudiant comme elle à la faculté de lettres de Limoges, il ne possédait presque rien. Les maigres économies des deux jeunes gens servaient à financer quelques sorties et ils avaient bien besoin, pour leurs frais ordinaires, de leur bourse d’études et de la modeste somme que leur octroyaient leurs familles respectives afin de leur assurer un minimum décent. Aurélien s’était mis en quête d’un travail et donnait des leçons particulières à des lycéens qui avaient quelques lacunes à combler avant leurs examens. Cependant, l’augmentation relative de ses revenus ne suffisait encore pas à l’organisation d’un séjour de plusieurs semaines en Écosse.
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C’est pourquoi le jeune homme cherchait une autre solution. Il reprit espoir lorsqu’un de ses amis, celui-là même qui venait de lui parler au téléphone, l’avertit de la présence possible de la Dame d’or à Saint Yrieix La Perche. Aurélien Despars avait attendu toute l’année l’occasion de s’inscrire au championnat d’Europe d’orpaillage, événement qui réunissait des équipes internationales à la recherche des paillettes puis des pépites que les organisateurs de la manifestation avaient dissimulées dans les tas de sable qu’ils livraient à l’adresse fiévreuse des concurrents. Ceux-ci s’affrontaient lors d’une série d’épreuves dans une ambiance joyeuse où l’on rencontrait des personnages sympathiques pour lesquels la découverte de l’or représentait un prétexte au tourisme, un intérêt supplémentaire pour la géologie, l’histoire ou la poésie, une occasion de nouer des relations amicales. Chacun arrivait vêtu d’une tenue de style « western » : blue jeans, chemise à carreaux, chapeau d’aventurier de couleur kaki orné d’un ruban de cuir tressé à incrustation de coquillages ou d’épinglettes vieillies. De francs sourires animaient les visages détendus, arrondissaient les pommettes hâlées, modifiaient la courbe d’une paire de moustaches ou d’une longue barbe blanche digne de la ruée vers l’or. Les regards brillaient non de convoitise, mais du plaisir de participer ensemble à un rite amusant, un jeu auquel la concentration, l’adresse, la forme physique et surtout l’esprit d’équipe donnaient une saveur incomparable.
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Les compétitions avaient lieu principalement au Lac d’Arfeuille où quelques habitués avaient dressé d’immenses tipis plus confortables qu’on n’aurait pu l’imaginer, puisqu’un bon feu de bois brûlait à l’intérieur et qu’on pouvait se reposer sur des coussins ou des fourrures. Mais, au-delà de ce décor au charme folklorique, la pièce majeure de l’équipement de tout orpailleur était la batée. Il en existait de diverses sortes, chacun avait sa préférence et sa méthode. La batée traditionnelle, de forme conique, s’utilisait en imprimant un mouvement rotatif destiné à éliminer les éléments les plus légers pour découvrir, au centre, dans une langue de sable, les précieuses paillettes d’or. Les adeptes du « pan » américain agitaient cette cuvette à fond plat et large, d’abord d’un geste rapide de balancier vertical puis avec une rotation lente. On trouvait aussi la batée suédoise, plate, avec des gradins intérieurs. Un Italien acharné à remporter la victoire possédait sa propre batée, un instrument particulier à la pointe de la technologie moderne, réalisé à partir de matériaux composites étagés en gradins sur une hauteur de cinq centimètres seulement. Il réussissait, grâce à son invention, à se maintenir en tête du championnat.
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Aurélien Despars, lui, avait choisi de concourir à l’aide d’une simple batée traditionnelle. Ce qui l’intéressait surtout, c’était de trouver la Dame d’or. Il s’agissait d’une énorme pépite de forme anthropomorphique, de plus d’un kilogramme. Contrairement aux autres pépites, la Dame d’or tenait sa réputation de sa constitution extraordinaire d’or presque pur. Elle valait environ dix mille euros à la Bourse de Paris. Aurélien Despars s’imaginait en possession de cette fortune qui lui permettrait de réaliser ses projets d’escapade en compagnie d’Héliodore. De nombreuses légendes circulaient parmi les orpailleurs au sujet de la Dame d’or, encore appelée « la fée gaélique », « la danseuse dorée », « le soleil gaulois » ou, plus prosaïquement, « la pépite géante ». Son origine remontait à l’époque des Celtes. On prétendait qu’elle avait été découverte pour la première fois en Irlande, retrouvée plus tard en Écosse, un légionnaire romain l’aurait ensuite emportée à travers l’Europe et en Afrique, jusqu’à ce que sa réapparition probable en Limousin au début du vingtième siècle alimentât les conversations secrètes des initiés. On la chercha dans les failles des aurières, dans les mines du Bourneix, de Champvert, de Cheni, de Douillac, de Lauriéras, de Nouzilléras… En vain ! On reparla d’elle en Écosse. Comment y était-elle revenue ? Impossible de le deviner ! Toutes les assertions qui concernaient la Dame d’or devaient être acceptées comme des postulats. Une logique ordinaire ne saurait convenir aux phénomènes qui appartiennent aux mystères du temps.
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On racontait aussi que la Dame d’or possédait un funeste pouvoir : elle accordait la fortune à celui qui la trouvait mais, s’il s’avérait incapable de répondre à la question qu’elle lui posait, une tragédie survenait dans l’année. On n’en savait pas davantage, mais les différentes versions relatives à la pépite géante concordaient sur ce point. Aurélien Despars se demandait comment un morceau d’or pouvait dialoguer. L’imagination humaine, avide de fantastique, avait dû forger cette histoire absurde dans le but de décourager d’hypothétiques chercheurs. Aurélien ignorait encore que la vérité est toujours beaucoup plus complexe qu’on ne le soupçonne.
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14 commentaires:

Totirakapon a dit…

J'allais laisser un commentaire genre :
" Vivement la suite !" et voilà que la suite arrive ! Chouette, alors !

D'Art en Arts a dit…

Vite, que le mystère de la Dame d'or nous soit dévoilé !
"Une logique ordinaire ne saurait convenir aux phénomènes qui appartiennent aux mystères du temps", voilà qui augure d'un sérieux rebondissement !

A bientôt, Anne, et avec grande hâte !

Norma

Anne a dit…

Merci, Norma. Vous pourrez lire prochainement la fin de cette histoire.
A bientôt!
Anne

Anne a dit…

Totirakapon, il doit y avoir transmission de pensée entre les blogs...
Bonne journée!
Anne

Michelaise a dit…

Ah l'amour... délicieux le jeune Aurélien et délicat... alors ??? nous sommes haletantes et maintenant il nous faut savoir la fin... dire que je pars demain matin pour un week-end sans internet, je ne sais pas si je vais tenir ;-)

Anne a dit…

Je vous souhaite un très bon weekend, Michelaise, et je ne publierai pas demain. Déjà un jour de gagné...
Anne

Marisol a dit…

Vous aviez matière pour un roman avec ces trois générations d'amoureux ! Votre Dame d'or est fascinante et le mystère grandit. Vivement la suite.
Marisol

beatrice De a dit…

Merci pour la dédicace que je lirais en revenant de l'atelier cet après midi.

St, Irieux la Perche. Je n'oublierais jamais ce nom ! Je vais me renseigner qu'elle étais la date de ma venue en ce lieux. MAIS j'ai de grands doutes que ce ne fut en 2002, car, à cette époque j'étais en partance pour le championnat du monde au Japon.

Anne a dit…

Merci, Marisol. La suite arrivera demain en principe.
Bonne journée!
Anne

Anne a dit…

Béatrice, comment était organisé le championnat du monde au Japon? J'imagine que ce devait être un événement spectaculaire. Quelles furent vos impressions?
Bon travail dans votre atelier!
Anne

Miss Lemon a dit…

Tel un conte, j'attends le dénouement !
Bonne soirée.

Anne a dit…

Il arrive dans quelques minutes, Miss Lemon...
Bonne journée!
Anne

VenetiaMicio a dit…

J'aimerais bien participer au jeu...et de voir "la danseuse dorée" mais j'ai peur de son funeste pouvoir ! vite, vite la suite...
Danielle

Anne a dit…

Danielle, aujourd'hui, la Dame d'or a disparu...
Anne