J’avais promis, il y a quelque temps déjà, un article concernant mes impressions sur l’art contemporain. J’ai du mal à structurer ces impressions, peut-être parce que ce qui appartient au domaine du sensible s’organise difficilement, sûrement parce que je suis peu douée pour une pensée rationnelle. Je demande donc à mes lecteurs toute leur indulgence.
En premier lieu, je souhaiterais dire qu’à mon avis, personne ne peut savoir avec exactitude ce qui se passe dans le cœur et l’esprit d’un artiste, ce qui n’empêche pas d’essayer de s’en approcher. Si l’artiste s’exprime dans ses œuvres et choisit un moyen autre que le discours qu’il est nécessaire de respecter, des critiques d’art proposent des accès aux œuvres non négligeables, surtout lorsqu’il s’agit d’entretiens avec l’artiste ou que le critique est lui-même un artiste. Leurs ouvrages permettent au « regardeur » de ne pas se confronter qu’à ses propres expériences et références, bien que l’artiste préfère parfois laisser ce champ de communication ouvert ou en l’état. On peut aussi observer que des historiens d’art, certainement dans un souci de lisibilité et de cohérence, ont recherché comment classer les mouvements artistiques successifs. Si l’effort est pédagogique et peut s’avérer utile, reste-t-il entièrement pertinent si l’on considère les personnalités impossibles à ranger dans une quelconque catégorie, surtout lorsque les artistes sont les initiateurs d’un bouleversement dont les prolongements perdurent sur plusieurs générations ? En même temps, il faut des repères pour pouvoir les nier.
Il me paraît essentiel de signaler l’importance de voir les œuvres dans leur « réalité » et non en reproduction. J’ai la conviction qu’on ne peut donner ses impressions, même vagues et incomplètes, qu’à partir de l’authenticité d’une vision directe.
Qu’ai-je apprécié dans les œuvres contemporaines que j’ai eu la chance de voir, plus souvent à Venise mais aussi à Rome, à Naples ou en France ? Pourquoi ne pas commencer par la dérision ? L’humour, s’il peut être décapant, proche de la tragédie, est souvent présent dans la création contemporaine, qu’il fonctionne sur des jeux de mots, des détournements de sens, l’utilisation d’objets du quotidien placés dans un contexte inhabituel parfois à la limite de l’absurde, des associations d’idées ou encore différents registres plus ou moins appuyés de provocation.
Prenons l’exemple du cheval empaillé de Maurizio Cattelan exposé à la Punta della Dogana à Venise. Cette sorte de Pégase sans ailes qui « va droit dans le mur » et en « perd la tête » surprend dans un premier temps. La surprise fait place immédiatement à l’interrogation. L’émotion liée à la présence physique de l’animal perturbe notre sens du réel habituellement diminué dans la vie aseptisée, édulcorée, calquée sur le virtuel que nous menons d’habitude. Nous plongeons directement, sans avertissement, sans initiation, dans la force plutôt brutale que dégage la matérialité d’un corps animal qui nous ramène à l’humain et à ses doutes.
Tout semble lié : l’humour et le drame, l’émotion et l’intellect, la référence à l’histoire de l’art et les nouveautés du présent, le flux du temps et la tentation de l’inaccessible, Eros et Thanatos, le mélange des genres, le foisonnement de la création et la rigueur des contraintes choisies. Comment dissocier l’indissociable, être témoin à la fois objectif et subjectif, montrer ce qui se passe sans prétendre que tout se vaut ?
Certaines œuvres m’ont enthousiasmée. Je cite – sans souci de chronologie, veuillez m’en excuser – la série de tableaux de Cy Twombly en référence à « Hamlet », « Fucking hell » de Jake et Dinos Chapman, « Play the glass » de Matsuda Hironi, « We are family » de Patricia Piccinini, « Against order ? Against disorder ? » de Michal Rovner, « Community » de Federico Lombardo, « 10000 lines » de Sol Lewitt, les oeuvres sans titre de Dan Flavin, « Dread » de Joshua Mosley, les photos de Nan Goldin, les peintures de Marlène Dumas, celles de Lucian Freud, les installations parfois évolutives de Giuseppe Penone. J’en oublie et j’en suis navrée. Pour d’autres, il me reste en mémoire l’œuvre, mais je ne peux me rappeler le nom de l’artiste. Ainsi je revois avec netteté cette « Marie-Madeleine » en cire livide, enlaçant devant son visage dissimulé et son corps dénudé d’immenses et vrais cheveux auburn, sculpture évoquant le cadavre et le fétiche, bouleversante, qui résumait tous les symboles attachés à sa représentation.
Les moyens utilisés sont multiples, de la technologie numérique à la peinture, du silicone au stylo feutre, du bronze à la vidéo, des matières organiques aux jouets, etc… Tous ont quelque chose à dire qui ne s’oppose pas tant que l’on voudrait parfois nous le faire croire mais se complète pour nous toucher plus sûrement.
Je vous remercie d’avoir eu la patience de lire cet article long et maladroit. Si la description détaillée des œuvres que j’ai citées car je les ai vues et aimées vous intéresse, je pourrai en parler dans d’autres articles.